PSYCHOLOGUES

Une approche de la sémiologie psychiatrique en télémédecine

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Direction médicale de Livi France
Une approche de la sémiologie psychiatrique en télémédecine

Pratique de l’examen mental en télépsychiatrie

L’examen mental en télépsychiatrie se base sur des sources cliniques vidéomédiées observées et éprouvées, ces deux versants relevant tant du spontané de la part du patient que de la recherche active de la part du clinicien.

S’il est vrai que le diagnostic de « maladie psychique » semble ne reposer que sur l’inspection et la parole, on ne saurait conseiller de retenir le réflexe consistant à faire de l’abord psychiatrique une facilité en télémédecine (il est souvent dit que la psychiatrie serait davantage compatible avec la digisanté que les autres spécialités, parce que basée sur le dialogue quasi exclusif, comme si au psychiatre était dévolue la tâche de soigner un esprit désincarné derrière un écran). Il n’y a, en distanciel comme en présentiel, aucune dichotomie corps-esprit, et ce quelle que soit la spécialité médicale concernée : le « psychisme » n’est en réalité pas particulièrement l’objet de la psychiatrie, tout comme le corps n’est pas particulièrement l’objet du somaticien ; l’esprit humain s’inscrit dans un corps, et le corps manifeste l’esprit. Le psychiatre téléconsulté ne soigne pas qu’un psychisme : il soigne une personne, avec son corps et son mental s’exprimant de concert. À ce titre, l’examen psychiatrique à distance, étroitement relié à l’anamnèse et au cadre relationnel visiophonique, reste soumis aux mêmes contraintes et limites que n’importe quelle autre spécialité.

Malgré la dimension absente

Il conviendra au clinicien examinant psychiatriquement un patient lové derrière son outil préféré de téléconsultation, de ne pas passer outre l’exploration clinique des signes corporels accompagnant les manifestations psychiques, quitte à grandement adapter son discours et ses méthodes d’entretien pour aller chercher ces éventuels signes dans la mesure où ils ne sont peut-être pas directement observables. Peut-être faudra-t-il d’ailleurs pour cela profiter des « silences » qu’on peine souvent à s’accorder en télésoin tant il est difficile de les interpréter (ne serait-ce que parce que pouvant se confondre avec un problème de connexion), alors qu’ils sont si riches en présentiel.

Vous ne verrez pas ce pied gigoter légèrement quand vous demanderez comment les choses vont en ce moment et qu’on vous répondra « mais tout va bien ! » : le clinicien en « situation 3D » (présentiel) rebondira peut-être sur ce corps manifestant une impatience ou une irritabilité (« Corrigez-moi si je me trompe, mais vous ne semblez pas spécialement détendu ; que dit ce pied qui bouge en face de moi ? ») ; le clinicien en « situation 2D » (ou 2D+, puisqu’à l’image s'ajoute l’audio) passera totalement à côté, à moins de s’être inscrit dans ce contexte particulier, et d’avoir à l’idée d’explorer ce qui est « hors champs » (« Vous me dites que tout va bien. J’aimerais qu’on explore ce Tout va bien. Ici et maintenant, c’est comment dans le corps ? »). Il faut adapter le langage à l’absence de 3D, pour accéder à la dimension non accessible immédiatement, sans quoi on placarde le patient dans les deux dimensions de son écran.

Une sémiologie soignante

Il y a là deux ponts importants à tendre entre les berges de notre propos. Le premier est que l’exploration sémiologique psychiatrique fine relève pour une bonne partie de la propre phénoménologie du patient. Autrement dit, ce qui fait plainte chez le patient, relève des phénomènes intérieurs qu’il éprouve, et ce qui est éprouvé (les épreuves que traversent corps et mental) n’est pas nécessairement conscientisé ; ce qui amène au second pont à tendre : la conscientisation par l’entretien devient un nouveau phénomène que traverse le patient, phénomène tout à la fois nécessaire car faisant partie de l’exploration sémiologique, et particulier à la psychiatrie car potentiellement psychothérapeutique. La prise de conscience d’un éprouvé non mis en mots dessine à distance les contours d’une souffrance qu’il devient plus facile d’apprivoiser.

Explorer signe et symptôme en psychiatrie, c’est toujours le faire au cours d’une rencontre qui devient relation de soin ; cette relation thérapeutique se joue comme un « terrain d’exercice » pour des mises en application dans « la vie réelle ». Or dans la vie réelle, quoi qu’en dise les pandémies, on est historiquement davantage en contact 3D qu’en contact 2D. La finesse sémiologique d’un exercice de jeu de rôle, par exemple, s’en trouve modifiée.

Le télésoin à l’épreuve des conditions de vie

Sur le pont de la sémiologie psychiatrique comme terrain psychothérapeutique, se balade un des inconvénients de l’utilisation du distanciel : si certes la parole a tendance à être davantage libérée par rapport à celle du cabinet de consultation, liberté influencée par le contexte de vie habituel du patient, c’est aussi une parole potentiellement plus « familière » au sens qu’elle relève peut-être des pensées habituellement ruminées en milieu familier, la téléconsultation risquant de devenir une co-rumination délétère si l’on n’y prend pas garde ; tandis que la « consultation 3D » (en cabinet) peut au contraire constituer un contexte d’entretien stable et « hors milieu écologique » permettant de faciliter le changement de point de vue du patient sur ses propres expériences.

Autrement dit, un même symptôme « qui fait signe » chez un patient, pourrait être perçu très différemment tant par lui que par le clinicien, selon le contexte où se déploie cette perception. Là encore il faut en tenir compte dans l’exploration de la télésémiologie, et adapter le discours en fonction.

L’on sait également que la sémiologie psychique reste indissociable du contexte socioculturel et de la phase de vie traversés par le patient. Le clinicien qui reçoit surtout en présentiel aura une patientèle a priori plutôt locale, et son approche sémiologique sera ainsi influencée par la norme locale actuelle ; autrement dit, ce qui dénoterait, sémiologiquement parlant, sera ce qui s’éloignera de ce qui est habituel pour la personne, dans son contexte géographique et socio-culturel local. Or, la télépsychiatrie ouvre à une patientèle potentiellement (inter)nationale, parfois expatriée, la sémiologie étant alors à l’épreuve d’une très grande variété de milieux de vies qui influencent, chacun à leur manière, l’éprouvé du patient comme l’interprétation que peut en faire le télépsychiatre.

Prendre en compte l’arrière-plan

Cela signifie aussi qu’il y a possibilité de faire de ce qui est vu à l’écran, derrière et autour du patient, autant de « télésignes cliniques » : aujourd’hui, le patient est-il assis ou semi-assis ? Allongé ? Comment le téléphone est-il tenu ? L’image tremble-t-elle ? Le patient a-t-il choisi son téléphone ou son ordinateur ? Quelle est l’ambiance et la lumière dans la pièce ? Parle-t-il de manière plus discrète que d’habitude ? Autant de variables plus ou moins instables, à opposer au cadre stable du bureau de consultation. Le contexte d’entretien influence certes les signes, mais les télésignes vont d’une certaine manière influencer l’entretien, en le renouvelant par l’introduction de variables contextuelles. La psychiatrie étant nous l’avons dit toujours une rencontre, si la nécessaire flexibilité propice à l’interaction psychiatre-patient est facilitée par la téléconsultation, c’est donc au risque d’éprouver la non moins nécessaire reproductibilité de la sémiologie psychiatrique, à des fins de comparaison évolutive, en fonction du contexte dans lequel consulte le patient.

L’immédiateté de part et d’autre

On voit donc que l’exploration sémiologique télépsychiatrique est intimement dépendante du cadre de l’entretien, qu’il faudra définir dès le début pour en assurer une relative reproductibilité au fil du suivi distanciel (et cela inclut la prise en compte d’autres personnes présentes dans la même pièce mais hors champs, ou dans une pièce adjacente mais aux murs fins comme du papier). Contrairement à l’exploration présentielle, qui bien souvent implique une mise en condition induite par l’organisation (rendez-vous noté sur l’agenda, puis trajet en voiture ou transport en commun, puis salle d’attente…), la clinique télépsychiatrique est souvent une clinique de l’immédiateté, à l’origine pour le patient comme pour le clinicien de déstabilisations et de désinhibitions liées au contexte vidéomédié, qu’il faut prendre en considération dans ce qui sera retenu comme sémiologiquement valide.

La particularité ultime de la psychiatrie, malheureusement souvent trop peu évoquée auprès des étudiants comme des médecins confirmés, est la place accordable à la phénoménologie du clinicien lui-même en tant que ce qui peut être retenu dans la sémiologie du cas : à titre d’exemple, en « consultation 3D », un sentiment de malaise et de gêne chez un clinicien peut constituer l’indice annonciateur qu’une exploration d’un trouble de la personnalité psychopathique chez le patient en face de lui pourrait être de bon aloi. La relative sécurité qu’induit la téléconsultation peut court-circuiter totalement ce genre de phénomène. C’est un avantage (sécuritaire) comme un inconvénient (clinique). La méthode la plus simple pour réintégrer cet aspect est de s’interroger soi-même ouvertement et avec bienveillance : Et vous, cher praticien, comment cette téléconsultation vous fait vous ressentir ? Comment allez-vous ? Peut-être y trouverons-nous quelques facteurs d’ajustement de nos jugements sémiologiques.

Dr Pierre Marionneau, psychiatre Livi

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